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«C’est trop, je n’en peux plus!»: à Bayonne, Annecy ou Saint-Malo, les riverains décrivent l’enfer du voisinage avec les locations de courte durée [Le Figaro]

RÉCIT - Bruit, saleté, vie de quartier en perdition... Des habitants de zones très touristiques racontent l’envers du décor.


À un peu plus d’un an des Jeux olympiques, le sujet est sur les lèvres de nombreux Parisiens. À l’été 2024, faut-il louer son appartement sur une plateforme spécialisée et, notamment, sur la plus célèbre de toutes, Airbnb? «Quand je regarde les prix pour les dates des JO, ça me fait envie», souffle une Parisienne. On la comprend. 300 euros la nuit pour un studio de la rue des Martyrs (9e), duquel «l’accès aux différents sites olympiques est idéal» ; 750 euros la nuit pour un deux-pièces de 40 m2 avec terrasse à Saint-Germain-des-Prés, d’ordinaire proposé à 300 euros de moins ; ou encore… 10.500 euros la nuit pour un deux-pièces de 26 m2 dans le Marais, qui se loue d’habitude plutôt 230 euros la nuit. Des chiffres qui expliquent à eux seuls l’intérêt fulgurant pour la location de courte durée dans l’optique des Jeux.


Mais derrière l’aspect financier, certains rappellent l’envers du décor. «L’offre est tentante. Mais l’appartement d’une proche loué via Airbnb ayant été ruiné, je ne m’y risque pas», souligne une mère de famille. Les témoignages de (très) mauvaises expériences de ce genre sont légion. Au-delà des déconvenues individuelles, parfois lourdes de conséquences, et des périodes très spécifiques comme les JO, l’essor des locations de courte durée inquiète aussi les élus et riverains des zones concernées, facilement reconnaissables à leurs nombreuses boîtes à clés installées près des portes d’immeubles.


Services publics menacés


À Paris, Annecy (Haute-Savoie) et Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), au Pays basque ou ailleurs, les retours d’expérience sont les mêmes. Premières conséquences: le bruit - valises à roulettes sur les pavés, va-et-vient dans les immeubles, soirées répétées… - et les incivilités - notamment en matière de saleté et de gestion des ordures. «Il n’y a quasi aucun recours possible: vous avez affaire à des gens de passage qui s’en fichent, à des conciergeries qui sont là pour faire le ménage en une demi-heure et à des propriétaires absents que vous ne connaissez pas!», regrette Brigitte Cottet, présidente de l’association des résidents de la vieille ville d’Annecy. Les propriétaires du studio situé juste au-dessus de chez Marielle*, qui occupe un appartement dans une rue montant vers le château d’Annecy, habitent ainsi au Mexique…


Parfois, les nuisances sont bien plus dérangeantes. Chloé, Bayonnaise de 30 ans, a ainsi découvert que l’appartement voisin du sien accueillait certes des familles ou amis venus découvrir le Pays basque, mais aussi des prostituées. «Les mêmes filles sont revenues à plusieurs reprises. Et, par le judas de ma porte, je voyais plusieurs fois par jour des hommes seuls attendre sur le palier… On ne se sentait pas en sécurité. On est censés être dans une résidence calme et on se retrouve au milieu d’un réseau comme ça!» Après avoir prévenu en pure perte le propriétaire, le gestionnaire, le syndic et la police, Chloé a fini par se tourner vers l’association Alda - «changer», en basque -, qui l’a soutenue dans ses démarches. Depuis un mois, l’employée administrative a constaté avec soulagement que la valse des occupants avait cessé… mais pour combien de temps?


Dans certains immeubles, des habitants se retrouvent seuls, entourés uniquement d’appartements destinés à la location de courte durée, ce qui n’est pas sans conséquences sur le lien social. Confrontés à l’augmentation des prix et à la raréfaction des logements, les habitants à l’année ont du mal à trouver chaussure à leur pied. «Un appartement en location de courte durée, c’est un appartement de moins pour une famille qui veut s’installer», résume un connaisseur du dossier. Sur le groupe Facebook «Presqu’île de Rhuys», plusieurs futurs habitants de ce petit bout du Morbihan partagent ainsi leurs difficultés à dénicher un logement pérenne. «Impossible de trouver une location à l’année, il n’y a que du saisonnier», relate avec angoisse une mère de famille obligée de s’installer avec mari et enfant chez ses propres parents. «Bon courage, c’est le parcours du combattant», l’encourage une autre membre du groupe.


On est passés d’un tourisme de séjour à un tourisme de passage, de zapping Franck Rolland, cofondateur du collectif Saint-Malo, j’y vis, j’y reste

Dans les quartiers les plus touchés, le quotidien des riverains est bouleversé. La population se réduisant, les services publics, écoles et autres, se trouvent menacés. «Ça tue la vie de certains quartiers», déplore Xebax Christy, de l’association Alda. Les commerces, eux aussi, évoluent. «Là où vous aviez une boucherie va s’installer une biscuiterie, et ainsi de suite», soupire Franck Rolland, cofondateur du collectif Saint-Malo, j’y vis, j’y reste. «Saint-Malo a toujours été une ville balnéaire touristique, mais la nature des visiteurs a changé: on est passés d’un tourisme de séjour à un tourisme de passage, de zapping. Et on ne consomme pas de la même manière lorsqu’on vient pour deux semaines ou pour trois jours», poursuit le quinquagénaire.



Coordination nationale


Malouine de très longue date, Catherine* confirme. «Quand je suis arrivée dans mon immeuble intra-muros, l’ensemble des appartements était habité à l’année. Maintenant, sur trente-cinq appartements, nous ne sommes plus que cinq… , confie la sexagénaire, qui a parallèlement vu la ville «changer». «Le monde, les incivilités, la disparition des commerces de bouche intra-muros… Ça devient insupportable!», tempête la retraitée.


Face à ce «tsunami Airbnb», certaines collectivités s’illustrent en imposant de nouvelles règles. À partir de ce 1er juin s’appliqueront à Annecy des quotas de meublés de tourisme par quartiers, suivant ainsi l’exemple de Saint-Malo, où la même formule est en vigueur depuis juin 2021. Une initiative dont se réjouit le collectif Saint-Malo, j’y vis j’y reste, qui regrette toutefois l’absence de contrôles et donc de sanctions. L’instauration de ces quotas a par ailleurs eu des conséquences collatérales sur les villes voisines, où se sont rabattus des investisseurs. D’où l’intérêt d’agir en collégialité, comme l’a fait la communauté d’agglomération du Pays basque. Depuis le 1er mars 2023, un système de compensation a ainsi été instauré dans 24 communes, parmi lesquelles Biarritz, Bayonne ou encore Saint-Jean-de-Luz. Désormais, pour proposer son appartement sur Airbnb, un propriétaire doit mettre en location à l’année un autre bien similaire, dans la même commune. De son côté, la ville de Paris a mis en place un double mécanisme: une limite de 120 jours de location par an pour les résidences principales, un système de compensation pour les résidences secondaires.


Les militants anti-Airbnb vont parfois bien plus loin que ces nouvelles réglementations, qu’ils soutiennent par ailleurs. Pour «médiatiser le sujet», l’association Alda a ainsi occupé à plusieurs reprises des biens en location de courte durée dans le Pays basque. Dans le très touristique quartier du Panier, à Marseille, des tags «Airbnb dehors» fleurissent sur les murs ocre, tandis que dans celui de la Plaine un propriétaire a eu la désagréable surprise de découvrir son appartement vandalisé. «Les logements, c’est pour vivre, pas pour se faire de l’argent!», «Airbnb fait exploser les loyers, dégagez!», était-il notamment inscrit en violet sur les murs, rapportait le site d’information Marsactu en mars dernier.


Plusieurs collectifs de riverains créés partout en France ces dernières années ont décidé de fonder une «coordination nationale» qui tient sa première conférence de presse ce mercredi. Début mai, quatre parlementaires ont par ailleurs lancé un «appel transpartisan» pour mieux «encadrer les locations touristiques». Julien Bayou, député écologiste de Paris, Christophe Plassard, député Horizons de Charente-Maritime, Inaki Echaniz, député socialiste des Pyrénées-Atlantiques, et Max Brisson, sénateur Les Républicains des Pyrénées-Atlantiques, ont formulé sept propositions. Parmi elles, la réduction du nombre de nuitées autorisées pour la location de sa résidence principale.



Des villages fantômes


Cette initiative est d’ores et déjà soutenue par de nombreux élus. Une cinquantaine d’entre eux ont notamment signé une tribune en ce sens dans le JDD. «Nous constatons amèrement que nos territoires les plus touristiques se vident de leurs habitants, et certaines destinations ressemblent aujourd’hui à des villes ou des villages fantômes», écrivent ces maires de tous bords, qui dénoncent une situation «parfaitement inacceptable». Selon les signataires, l’idée n’est pas d’interdire à ceux qui veulent «arrondir leurs fins de mois» de louer leur logement quelques jours, mais de pénaliser «ceux qui transforment des appartements, voire des immeubles entiers, en locations courte durée, spéculant sur le manque de logements et alimentant à dessein la pénurie d’habitations pour les populations locales».


En attendant que la situation soit prise en compte au plus haut niveau de l’État, les riverains concernés se débrouillent comme ils peuvent. À Bayonne, Chloé n’a pas perdu l’habitude de jeter un œil à travers son judas. À Annecy, Marielle s’accroche envers et contre tout au quartier qu’elle a tant aimé, même si tous ses amis «fuient la vieille ville». À Saint-Malo, Catherine s’échappe dans sa maison de campagne dès qu’elle voit les longs week-ends ou les vacances scolaires arriver. La retraitée songe même à déménager dans un quartier moins touristique de la cité corsaire. «Je ne me sens plus chez moi, ni dans mon immeuble ni à Saint-Malo intra-muros. Je n’ai rien contre les touristes, mais là, c’est trop, je n’en peux plus!» 


* Les prénoms ont été modifiés.

 

 

Article à retrouver sur Le Figaro

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